Sélection de pièces électroacoustiques en version binaurale
(écoute au casque !)
par Alessandro De Cecco
APNÉES– Association pour la PerformaNce, l’Électroacoustique et les Expérimentations Sonores
Les trajectoires sonores qui se dessinent dans l’espace audible nous amènent, par une multiplicité de parcours divergents, à la découverte de mondes abstraits où les grains, les textures, les matières semblent surgir d’un seul point de l’espace-temps, un instant de déflagration d’où la dispersion s’opère par le bouleversement.
Des trames éphémères jaillissent des éléments primaires d’un paysage ancestral, déclinées par le mouvement, comme autant de figures en évolution perpétuelle.
L’habileté d’une manipulation minutieuse modèle alors ces matières, souvent par des gestes d’écriture formelle, procédurale, algorithmique, qui amplifient jusqu’à la démesure chaque nuance, chaque détail.
Au fil de cette narration ineffable, de cette forme aux multiples facettes, la parole, elle aussi fragmentée, émerge, soudain, par des tentatives qui s’entremêlent. Sans pour autant parvenir à s’exprimer, elle nous entraîne dans son élan vers une unité qui ne peut pas être retrouvée. Dispersée, éparpillée, à l’image de notre monde intérieur, elle nous guide à travers une expérience d’écoute à la fois intime et immersive, et nous indique, enfin, un chemin alternatif au bout duquel une catharsis devient possible.
Mode d’emploi :
Les pièces ici proposées ont été réalisées grâce à une technique de mixage dite binaurale, donnant un effet de spatialisation sonore qui peut être apprécié uniquement à travers une écoute au casque. Installez-vous dans un endroit calme et pensez bien à régler le son de votre dispositif de reproduction pour des niveaux d’écoute confortables.
Les pièces sont présentées sous forme de playlist SoundCloud : n’hésitez pas à visiter les profils des compositeurs.trices pour approfondir leur production et surtout soutenir leur activité
Cette pièce a été composée en imaginant le parcours neuronal d’un évènement. L’information est initialement perçue par les organes récepteurs et élaborée dans un premier étage neuronal. Ensuite l’évènement est comparé avec la mémoire, afin d’obtenir une élaboration de l’information cohérente avec l’expérience de vie personnelle. Les données cérébrales deviennent de plus en plus abstraites et créent le sens de l’information, en modelant nos pensées, nos impressions. Ainsi, nous nous créons nous-mêmes à travers une « Genèse abstraite ». Les évènements sonores dans la composition sont toujours liés aux sons précédents et ont été développés en suivant un processus évolutif. La spatialisation a été traitée comme une projection de l’espace sonore intérieur, en prêtant une attention particulière à la distribution spectrale, qui vise à une perception sonore dans un environnement de plus en plus intime.
« Halocline » désigne la couche brumeuse apparaissant à la rencontre de deux strates d’eaux à la salinité différente. C’est une zone interstitielle, fine étendue opaque qui sépare et lie deux mondes, deux écosystèmes, un au-dessus et un en-dessous. Espace déformant, environnement occulté et mouvant, c’est le lieu de l’invisible et le temps de l’apparition. L’épais brouillard voile des éléments sous pression qui, imprévisibles, émergent et dévoilent les alentours.
Stylianos Dimou / L’osmose / 10’20 / 2019 Pièce multiphonique (pour dôme de 32 haut-parleurs) – version binaurale
Cette pièce illustre un organisme sonore vivant, qui émerge des différents coins de l’espace. L’oeuvre adresse certaines conceptions de la structure formelle propres au style du compositeur, comme le déplacement angulaire et phrasal et le collage imprévisible de matériaux hétérogènes. Elle se focalise sur les déplacements et les juxtapositions dans lesquels la forme reste soumise à une osmose d’idées continue et peu orthodoxe.
Giulia Francavilla / Forma Volatile / 10’16 / 2020 Pièce multiphonique (8 canaux) – version binaurale
Dans de nombreuses cultures ancestrales, les sons de la Nature étaient considérés comme les voix des esprits : quelque chose autre que l’humain ou l’animal pouvait parler. « Forma Volatile » est une exploration de la nature sonique du vent. À travers un processus d’analyse-élaboration-synthèse, la compositrice a voulu en souligner la dynamique fluctuante, en tant que riche source de potentiel expressif, ainsi que comme objet de contemplation. Sa nature invisible et inconstante sculpte un espace qui se dilate et s’effondre sans aucune cohérence nécessaire.
Marie Guilleray & Bjarni Gunnarsson / L’imaginaire du parleur / 12’35 / 2011 Pièce multiphonique (8 canaux) – version binaurale par Kees Tazelaar
Cette pièce est inspirée par la description menée par Roland Barthes dans son essai « Le grain de la voix » (1977). Le grain de la voix, d’après Barthes, c’est ce qui s’est perdu dans la transcription. C’est un corps extérieur qui, en situation de dialogue avec un autre corps, lui aussi fragile, envoie des messages intellectuellement vides, afin de capturer l’autre et le maintenir dans un état d’association. Une fois transcrit, le langage change de destinataire et de sujet. Le corps, toujours là, arrête de correspondre à la personne ou à la personnalité. L’imaginaire du parleur change d’espace. Il n’est plus un jeu de contacts, il est une installation, la représentation d’une discontinuité articulée, il est, autrement dit, une argumentation.
Margherita Brillada / Stati d’ansia – C1 / 8’23 / 2020 Pièce multiphonique (8 canaux) – version binaurale
« Stati d’Ansia » (« États d’Anxiété ») est une étude sur la valeur dramatique de la voix humaine dans le discours musical, qui expérimente avec les sons et les gestes du violoncelle. Une voix féminine récite le poème « C1 » de Nanni Balestrini, représentant majeur de la néo-avant-garde poétique italienne, décédé en 2019. « C1 » a été écrit par le biais d’un système algorithmique, comme résultat de l’assemblage de plusieurs textes, et possède différents niveaux d’interprétation.
La structure formelle de la pièce oscille autour des degrés d’intelligibilité de la voix : les mots sont déconstruits, en articulation avec le violoncelle, qui, lui, bouge en direction contraire pour remplacer les mots manquants et inintelligibles.
Nicolas Canot / Anoph Speia / 24’13 / 2013 Pièce hybride (2.1 + binaural) – version binaurale
« Anoph Speia » est une pièce électroacoustique composée pour une diffusion en direct en 2.1 et casques simultanés, en son binaural. La pièce est ainsi spatialisée en temps réel, entre l’ensemble de ses canaux indépendants créant, par la superposition des modes d’écoute (interaural et sous casque) une immersion profonde dans le son. La première partie de la composition est une longue et lente méditation faite de synthèse granulaire en mouvement, préparation pour l’auditeur à la construction bien plus harmonique et rythmique qui suivra, faite d’une écriture très conventionnelle, aux contours presque pop ou techno, par endroits où les accords se forment et de dissolvent au grès de la perception de chacun de leur degrés, en mouvement permanent dans l’espace d’écoute virtuel. La totalité des sonorités travaillées dans la pièce ont été produites par douze échantillons d’harmoniques d’un piano droit.
___________________________________________________________________________ Remerciements : Les compositeurs.trices, Paola Codazzi, l’Institute of Sonology de La Haye, Kees Tazelaar, Sophie Donnadieu, Philippe Tastevin.